Il y a eu les pionniers... des intrépides qui ont tenté le pari de faire une première commande pour quelques euros. En racontant leurs bonnes expériences sur les réseaux sociaux d'autres ont également franchi le Rubicon. Le bouche à oreille arrive maintenant à convaincre les plus méfiants. Le phénomène AliExpress s'amplifie de semaines en semaines. Faut-il y voir une menace pour nos entreprises ? une chance pour les consommateurs ?
Qu'est ce AliExpress ?
AliExpress est un site de commerce appartenant à la société AliBaba.
Ce mastodonte dont la capitalisation boursière pèse plus de 550 milliards de dollars est originellement spécialiste dans la mise en relation des usines chinoises avec les entreprises du monde entier.
Pour s'ouvrir aux particuliers, Alibaba a mis en ligne AliExpress.com qui offre une vitrine à des milliers de vendeurs professionnels. Vous vous baladez sur des boutiques virtuelles, notées par les clients tout comme sur Amazon ou Ebay.
Ce qui fait le succès d'AliExpress est indéniablement le coût imbattable des produits proposés et bien souvent la gratuité de la livraison. Les subventions de l'état chinois aux entreprises exportatrices, les salaires faibles, l'euro fort, l'absence de taxes, charges sociales et TVA françaises abaissent mécaniquement le prix des articles. Une TVA (majorée) souvent évitée pour les petites commandes peut tout de même vous être réclamée en cas de contrôle des douanes françaises.
Que trouve t'on sur AliExpress ?
Concernant la pêche... presque tout.
Les entreprises occidentales et japonnaises ont jusqu'à présent fait fabriquer une bonne partie de leurs produits en Chine pour des questions de coût. Ces entreprises chinoises ont donc acquis un savoir faire qui leur permet de concevoir et de fabriquer leurs propres produits.
Le catalogue concernant la pêche est assez conséquent, vous trouvez des cannes, des moulinets, des leurres souples, des poissons nageurs, des TP, des hameçons, de la bagagerie...
La qualité est parfois contestable mais il faut avouer qu'on trouve bien souvent des produits de bonne facture, efficaces et d'excellent rapport qualité/prix.
Attention cependant, en parcourant les forums ou les réseaux sociaux la majorité des pêcheurs cherche à avoir absolument la copie de tel ou tel leurre dur (
Asturie, Patchinko, Z Claw, Whopper Plopper, Artist, Zip Bait Orbit...) trouvables notamment sur la boutique
LTHTUG.
C'est une erreur car à quelques exceptions près, le moule est certes similaire mais la conception interne des leurres durs est différente. Le leurre n'en sera pas moins bon pour autant mais ne nagera pas comme l'original.
Les leurres souples sont plus facilement reproductibles, ainsi les copies AliExpress de One Up, Keitech ou le fameux Megabass
Dark Sleeper sont légions et pour être honnête la nage est proche des originaux.. avec une texture égale mais souvent sans le sel qui fait garder le leurre en bouche plus longtemps.
On trouve quelques pépites fabriquées et conçues en Chine, comme le désormais célèbre moulinet
spinning Tsurinoya Jaguar qui pour environ 50€ fournit une qualité égale à des modèles vendus plus de 100€ en France, testé et approuvé.
|
Tsurinoya Jaguar, la star d'AliExpress |
Quel avenir pour nos sociétés françaises ?
Elles commencent à réagir publiquement notamment à travers la chaîne youtube Fishing Club. Si le phénomène AliExpress se développe de manière exponentiel il reste cantonné à une faible partie des pêcheurs. Les grandes marques ainsi que les boutiques en ligne ou physiques suivent d'un œil inquiet l'arrivée de cet acteur qui comme Uber peut chambouler tout un secteur économique.
La lutte avec Ali sera difficile, la fiscalité est à notre désavantage, notre TVA vient alourdir de 20% le coût total, mais le combat est il perdu d'avance ?
J'entends souvent crier au loup sur les marges des importateurs Français. Ils margent comme toute entreprise devrait marger. Votre employeur aussi prend une marge pour payer votre salaire et tous les frais qu'une entreprise doit supporter. Ne leur jetons pas la pierre, c'est peut être leur business model qu'il faut revoir en réduisant les intermédiaires. Voici quelques pistes pour que les emplois liés au matériel de pêche restent en France.
Rebranding, des sociétés peu inspirées...
Il faut dire que le business model de certaines sociétés sera inévitablement touché. Celles qui ne conçoivent pas leurs produits disparaîtront tout simplement. Elles pratiquent ce qu'on appelle le 'rebranding', l'ajout de leur logo sur des produits chinois qui sortent à 2, 3 ou 4 fois plus chers une fois arrivés en magasin. Dès qu'on navigue sur les pages AliExpress, on reconnait rapidement tel modèle de moulinet vendu par X, tel Fish Grip vendu par Y et même le Float Tube vendu par Z. Cette pratique n'apporte aucune plus-value et avec l’émergence d'AliExpress les consommateurs refuseront d'acheter au prix français le modèle chinois maquillé à 2 ou 3 fois plus cher.
Comment les entreprises peuvent réagir ?
Comme dans toutes les industries, quand un concurrent vend moins cher un produit similaire on peut réagir de plusieurs manières.
- Un premier levier puissant mais coûteux, l'innovation. A ce jeu là Fiiish ou Savage Gear sont bien positionnés. Mads Grosell le responsable de Savage Gear a redressé cette société grâce à une stratégie payante, l'ultra réalisme. En gagnant de nombreux prix (Efftex, ICast,etc...) cette stratégie a été récompensée.
- Une autre stratégie ambitieuse est la montée en gamme (comme Apple et toute l'industrie du luxe), ce que proposent déjà 3 acteurs (Way Of Fishing, Ultimate Fishing ou Fish Connection). Les pêcheurs passionnés et/ou ceux qui veulent pêcher avec ce qui se fait de mieux accepteront de payer plus cher.
- La relocalisation de l'outil de production en France est une option à ne pas négliger. Delalande a pris ce pari industriel pour la fabrication de ses leurres. Delalande réduit ainsi les délais et coûts livraison, maîtrise la qualité, reste maître des moules et peut adapter en temps réel sa cadence de production. L'investissement est par conséquent, mais en plus des avantages précédemment cités, la possibilité de mettre en avant le Made In France est un argument qui séduit nombre de nos compatriotes.
- Pour se différencier du lointain AliExpress, nos entreprises locales ont une carte à jouer dans le service. Pour rassurer les clients, un bon service après-vente peut convaincre d'acheter en France plutôt qu'à l'étranger. Prenons exemple sur les moulinets et les float tube, augmenter les durées de garanties et assurer la disponibilité des pièces détachées plusieurs années serait un gage de sérieux et de fiabilité.
- Les marchés de niche sont porteurs. La spécialisation dans un type de pêche ou dans un type de matériel permet au consommateur d'avoir des repères et être sûr d'acheter du matériel adapté.
- Une question à se poser également, la taille de nos fabricants. En atteignant une taille critique vous pouvez vendre moins cher tout en gardant vos marges. C'est le cas pour Decathlon/Caperlan qui tout en gagnant de l'argent arrive à proposer des produits performants à bas prix, grâce à l'innovation, la maîtrise des coûts et la baisse du nombre d'intermédiaires.
Comme le décrivait l'économiste Joseph Schumpeter, dans le monde économique, soit une entreprise sait s'adapter aux nouvelles conditions de marché, soit elle disparaît au profit de nouveaux acteurs..